En train magazine

En Inde, un train de nuit de Calcutta à Varanasi

Vue sur Varanasi et ses ghâts embrumés. Crédit : © S. Delziani

Prendre le train entre Calcutta, la grande mégalopole du Bengale occidental, et Varanasi, l’ancienne Bénarès, une ville parmi les plus sacrées d’Inde, est un voyage dans l’espace, mais aussi un voyage dans une société indienne, formidable de complexité et d’une variété infinie de couleurs, d’odeurs et de visages.

L ‘arrivée en Inde sonne toujours comme un coup de poing. Les tout premiers contacts avec une grande ville indienne : la foule, la chaleur, une pluie de mousson qui transperce tout. Aucun doute : nous sommes dans un autre monde. Calcutta – Varanasi : deux villes séparées d’un peu plus de 700 kilomètres, aux caractères opposés. Calcutta, l’intellectuelle insoumise, et Varanasi, la mystique, présentent deux visages de l’Inde, un pays continent qui en compte encore beaucoup d’autres.

À Calcutta, dans le quartier de Barabazaar, vous vous confronterez à la diversité religieuse de la ville. Temple, synagogue, mosquée, cathédrale, église arménienne : les différents cultes ont trouvé ici leur place. Le quartier accueille un marché important et vous y goûterez aux joies du bain de foule. Alors que je m’y promène, un orage de mousson éclate, en quelques minutes l’eau est partout. L’averse est si forte qu’elle couvre le bruit de la circulation malgré l’usage immodéré du klaxon par tous les usagers de la route.

Le quartier de Barabazaar à Calcutta. Crédit : © M.E. Bonnet

Calcutta porte toujours l’héritage du Raj britannique que les habitants de la ville se sont réappropriés. Une visite au Victoria Memorial le prouve. Conçu pour accueillir l’élite coloniale, le lieu est aujourd’hui résolument indien. Dans le parc autour du musée où trône une statue de la reine Victoria, les jeunes amoureux se font la cour un peu partout et des familles se promènent en les observant d’un œil discret. Ensuite, rendez-vous au cimetière anglais cernant l’église Saint-Jean de Calcutta, l’une des plus anciennes de la ville. Le lieu permet de s’extraire de la frénésie de la capitale bengalie et de se confronter à tous ces destins britanniques racontés en quelques informations lapidaires propres aux pierres tombales. L’ombre des arbres ondule sur les tombes et, à part quelques écureuils, aucun visiteur en vue. Le calme tranche littéralement avec le chaos bruyant de Barabazaar.

Calcutta, ville de contrastes

La vie dans la « Cité de la joie » n’est pas toujours une partie de plaisir. La nuit, des familles entières prennent possession des trottoirs et y camperont jusqu’au matin. Le flot de mendiants réclamant le bakchich est ininterrompu. Comme souvent en Inde, la pauvreté et le dénuement côtoient quotidiennement la richesse et le luxe. Ainsi, si Calcutta était à la pointe du combat pour l’indépendance, la ville n’en a pas moins gardé ces clubs de gentlemen, héritage britannique (au même titre que le cricket), où se retrouvent les hommes bien nés. On ne badine pas avec l’étiquette en Inde.

Calcutta c’est aussi une ville littéraire, de Rabindranath Tagore, prix Nobel de littérature 1913, jusqu’à Arundhati Roy ou Vikram Seth. C’est également le berceau d’un cinéma d’auteur aux antipodes des productions de Bollywood. Calcutta est souvent agitée par de nombreux mouvements sociaux. Régulièrement des grèves et des manifestations paralysent des quartiers entiers. Dans le taxi qui me mène à la gare, je croise quelques protestataires qui, les poings et les dents serrés, agitent des pancartes devant des policiers impassibles armés d’impressionnants bâtons. Le face-à- face est tendu, mais déjà le taxi s’éloigne vers le train, vers Varanasi, sans que le chauffeur n’ait jeté le moindre coup d’œil sur les manifestants.

A bord de l’Amritsar Mail

Vue intérieure d’Howrah Station Crédit : © Sbb1413 – Wikimedia Commons

La gare de Howrah Junction est là, imposante. Elle ressemble à un étrange château fort de brique rouge. En ce début de soirée, le hall de départ et les quais de la plus grande gare indienne (et la deuxième la plus fréquentée) sont assaillis par les voyageurs en partance. Mon train, l’Amritsar Mail, s’ébroue enfin dans un grand craquement et laisse entendre la longue plainte des crissements des rails. Comme son nom l’indique, il rejoint en un peu moins de 40 heures, Amritsar, au Penjab, principal centre religieux du Sikhisme, à la vitesse moyenne de 70 km/h, une moyenne plus que respectable pour le réseau indien. Tractée par une locomotive électrique Wap-4, la vingtaine de voitures va traverser le Bihar avant d’entrer dans l’Uttar Pradesh, l’État de Varanasi, où je devrais arriver dans un peu plus de douze heures. Le temps de passer une nuit réparatrice dans la cabine de première classe que je suis parvenu à réserver – les réservations dans ces voitures partant souvent comme des petits pains.

L’Inde est un pays qui se visite en train. Le réseau est immense et les tarifs imbattables même lorsque vous voyagez en première ou en seconde classe avec des voitures climatisées. Efficace, plutôt confortable, le train rassure, tandis que l’expérience du bus indien est plutôt anxiogène, tant la route y est une jungle. On n’y manque jamais de chaï, ce thé lacté, épicé et sucré, véritable boisson nationale et surtout on ne s’y sent jamais seul. Entre deux voitures, on y tolère parfois les cigarettes et les rencontres fortuites. La grande fraternité des fumeurs fonctionne ici pleinement : un petit bavardage conventionnel, parfois un échange de tabac, puis des « bon voyage ! » et toutes sortes de politesses qu’on se dit lorsqu’on a peu de choses à se raconter.

Distance et vétusté du matériel, les voyages sont longs en Inde. Assez pour vivre une petite vie le temps d’un voyage : le trajet le plus long, entre Kanyakumari dans l’extrême sud et Dibrugarh dans le nord-est, s’effectue en plus de 80 heures ! Les journées y sont longues, parfois brûlantes, et les nuits souvent glaciales. Dans la voiture, beaucoup de familles, quelques routards fermement accrochés à leur sac à dos et des voyageurs de commerce, des rêves de réussite plein la tête. Vite, tout ce petit monde discute, échange des victuailles, se met à l’aise et déjà, un employé des Indian Railways vient déplier les couchettes. Et nous nous endormons, bercés par le lent roulis du train qui traverse les plaines désolées du Bihar. Quelques heures après, le jour se lève et doucement la plupart des couchettes s’agitent, c’est l’heure du réveil. Une procession de voyageurs, les yeux rougis par la fatigue, se dirige vers le lavabo en bout de voiture pour effectuer une toilette sommaire.

La campagne prend des teintes dorées, déjà des paysans sont accroupis dans leur rizière. Très vite, le soleil grimpe et devient implacable. Il écrase le paysage de chaleur. Et rappelle les mots d’Alberto Moravia dans L’Inde comme je l’ai vue : « La plaine indienne d’un vert pâle, trop clair, mélancolique, funèbre, baignée de brumes de chaleur, noyée dans un soleil malade, silencieuse, informe, irréelle. » Alors que j’arrive à Varanasi, le soleil est au zénith et, en quelques pas sur le quai bondé, je suis trempé de sueur.

A Varanasi, la ferveur commence à la gare

La gare de Varanasi Junction, aussi nommée Varanasi Cantonment (Cantt.), présente une étrange architecture, c’est une drôle de bâtisse en stuc jaune et rose. Dans la gare, sur les quais, le chaos resplendit. L’armée des porteurs de bagages, des rabatteurs et des chaï wallas (marchands ambulants de thé) se mélangent aux pèlerins, aux sâdhus, aux yogis aux robes safran et à quelques hippys aux visages christiques. Nombreux également sont ceux venus chercher les vertus curatives des eaux du Gange et toutes les variantes du boitement rythment le lent flot des passagers. La gare est une véritable cour des miracles ferroviaire.

La gare de Varanasi Junction. Crédit : © S. Delziani

D’abord nommée Kachi, puis Bénarès, Varanasi est l’une de plus vieilles villes du monde toujours habitées. Depuis plus de 3 000 ans les pèlerins se perdent dans ses ruelles, descendent les marches qui les séparent du sacré et rêvent de mourir ici même dans la promesse d’en finir avec le cercle des réincarnations. Le temps ne semble pas avoir de prise ici. La modernité s’est arrêtée aux ampoules colorées et aux sonos survoltées des temples. Entre les vaches sacrées et des sâdhus déambulant à moitié nus, le corps couvert de cendres dans des rues perpétuellement encombrées, il n’est pas évident de se frayer un chemin. À chaque pluie de mousson, les venelles sont inondées et partout flotte détritus et excréments.

Dans les rues de Varanasi. Crédit : © M.E. Bonnet

Les Ghâts (littéralement les marches) qui mènent au Gange sont au centre de la vie de la cité qui en compte 77. Lieux de prières, de crémations, l’action est la plupart du temps religieuse. La ferveur déborde largement des multiples temples de la ville et partout de petites échoppes vendent des images pieuses et des offrandes. Le fleuve enregistre des records de pollution à Varanasi, ville où les Hindous viennent mourir dans l’espoir d’accéder directement au nirvana. L’eau du Gange est pour eux sacrée et tous les jours, ils sont près de 60 000 à s’y baigner. Une série d’études a constaté que la présence de matières fécales dépassait de 250 000 fois les normes préconisées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Alors évitez d’imiter ces pèlerins qui dès l’aube pratiquent leurs ablutions dans une quasi-extase mystique. Il existe ici une profondeur mystique que nos sociétés matérialistes ont depuis longtemps oubliée. Déjà, Pierre Loti notait au siècle dernier cette vérité : « Sur les mystères de la vie et de la mort, les sages de Bénarès détiennent des réponses qui satisfont le mieux à l’interrogation ardente de la raison humaine. »

Cérémonie lumineuse sur un Ghât bondé. Crédit : M.E. Bonnet

Le goût de l’Inde reste longtemps en bouche. Lumières, visages, odeurs subsistent longtemps après avoir quitté le pays. L’Inde ne laisse personne insensible. Certains visiteurs ne supportent pas ce qu’ils y vivent. D’autres ne jurent que par cette folie enveloppante. D’autres encore mêlent ces deux sentiments et heureux d’en partir, se promettent peu après d’y revenir. Une chose est sûre, on en revient transformé. On ne « fait » pas l’Inde, c’est l’Inde qui vous fait. L’écrivain britannique Rumer Godden, qui dirigea longtemps l’école de ballet de Calcutta, nous aura prévenus : « Une fois que vous aurez senti la poussière de l’Inde, vous ne vous en libérerez jamais. »

Samuel DELZIANI

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