Dans le nord-est de l’Italie, entre Gênes et La Spezia, sur la côte ligure, les Cinque Terre attirent de nombreux visiteurs. On y accède en bateau, à pied et surtout en train, le seul véritable lien unissant le reste du monde à ces petits villages accrochés à la falaise.
Des immeubles multicolores, serrés autour de venelles ombragées – les « carruggi » – qui entourent un petit port de pêche ou une petite place animée. Acculés par le relief, les « Terre » se nichent entre les collines abruptes, déclinées en terrasses, et la mer Ligure. Le rouge, l’ocre et le jaune qui tranchent avec le vert et le bleu. D’ouest en est : Monterosso al Mare, Vernazza, Corniglia, Manarola et Riomaggiore. Les cinq villages ont chacun leur charme propre et sont tous desservis par une petite gare qui ne désemplit pas pendant la haute saison.
Longtemps préservés comme un secret bien gardé, les cinq villages qui composent les Cinque Terre étaient pratiquement inaccessibles, hormis par la mer, jusqu’à la construction de la voie ferrée reliant Gênes et Pise dans les années 1870. Avant la construction de la ligne, la communication entre les différents villages s’effectuait par bateau ou par des équipages de mules qui crapahutaient sur les sentiers qui dominent les cinq « Terre ». Dans la région, la construction de cette infrastructure ferroviaire a constitué une incroyable prouesse technique.
Un chantier complexe et coûteux
Le projet de chemin de fer des Cinque Terre est lancé par un décret royal publié le 27 octobre 1860 concernant la création d’un chemin de fer ligure qui permettrait de relier la ville frontière de Vintimille à Massa (connectant la ligne au reste du réseau de chemins de fer existant à l’époque dans le centre de l’Italie). La section des Cinque Terre était la plus complexe et la plus coûteuse à construire. La ligne suit les méandres de la côte pour minimiser le nombre et la longueur des galeries. En tout, 23 ponts ont été construits et 51 tunnels ont été percés, couvrant plus de 28 km de l’ensemble de la ligne de 44 km.
L’hiver 1872 a été particulièrement dur pour le chantier… Les intempéries ont provoqué des glissements de terrain et des violentes tempêtes qui ont frappé le chantier. Les ingénieurs ont été obligés de modifier à plusieurs reprises le tracé de la ligne. D’ailleurs certains anciens tronçons de la toute première voie ferrée sont aujourd’hui utilisés par les piétons et les cyclistes.
A l’époque de sa construction, de longues étendues de côte sont inaccessibles depuis la terre. Le transport des matériaux de construction s’effectue donc exclusivement par voie maritime, ce qui impose une logistique particulièrement compliquée.
Le 22 juillet 1874, la dernière section de la ligne est mise en service, rompant définitivement l’isolement des Cinque Terre. L’infrastructure est d’abord à voie unique avant que le doublement des voies ne soit achevé dans les années 1970. Ce tronçon de ligne est électrifié avec un système triphasé en 1926, puis converti en courant continu à 3 kV en 1947.
Aujourd’hui encore, le train demeure le meilleur moyen de découvrir ces villages à partir de Gênes, La Spezia ou Levanto. Les trajets sont rapides : trois minutes entre Riomaggiore et Manarola ou entre Manarola et Corniglia pour les plus courts et cinq minutes pour le plus long entre Corniglia et Vernazza. Peu de temps pour apprécier le paysage, d’autant plus qu’une bonne partie de la ligne est en tunnel. Mais quand le paysage apparaît, c’est une claque ! La ligne longe des falaises, semble parfois se faufiler entre les vagues et le maquis.
Paysage en danger
Le paysage des Cinque Terre est sculpté depuis près de 1 000 ans par la main de l’homme. Il a déployé, partout où il le pouvait, des restanques formées patiemment avec des murs de pierre qui retiennent la terre. Luttant contre la pente, il a façonné un paysage découpé en terrasses. Chaque espace disponible est planté. Des agrumes, de la vigne et des oliviers. Certaines terrasses peuvent atteindre jusqu’à 2 km de long et s’étendent le long des pentes abruptes à une altitude variant entre quelques mètres et 400 m au-dessus du niveau de la mer. Essentiellement construites au XIIe siècle, elles sont le résultat d’une approche communautaire de l’agriculture locale. Les murs de pierres sèches sont en général édifiés avec des blocs de grès, colmatés par des cailloux de toutes tailles.
Ce patrimoine est en danger. L’Unesco estimait en 1997, au moment de l’inscription au Patrimoine mondial, que 130 m de murs par hectare de vignoble et entre 30 et 300 m par hectare d’oliveraie étaient à reconstruire de toute urgence. Depuis, plusieurs dizaines d’hectares de vignes et d’oliviers ont été réhabilitées grâce à plusieurs programmes de remise en état du paysage. Mais il s’agit d’un combat constant. Les surfaces cultivées ne cessent de baisser alors que le développement de l’industrie du tourisme provoque l’abandon de l’agriculture traditionnelle. L’écosystème unique et fragile des Cinque Terre est aujourd’hui en danger.
Cinque Terre, cinq ambiances
Situé au milieu d’un petit golfe naturel, protégé par une petite falaise, Monterosso est la plus occidentale des Cinque Terre. C’est également la plus peuplée. A l’ouest du village, au-delà du Colle dei Cappuccini, se trouve la plage de Fegina. La gare de Monterosso donne directement sur les baigneurs. C’est ici que les touristes trouvent les plages les plus étendues et ils sont nombreux à déguster Spritz ou autre sur la promenade qui longe la plage.

Vernazza se déploie le long de la Vernazzola, une petite rivière fougueuse. La vie s’articule autour de la Via Roma qui relie la gare au port, où restaurants, bars, boutiques de souvenirs ou épiceries fines accueillent toute la journée les flots de touristes qui sortent de la gare. Le Castello Doria est aujourd’hui transformé en belvédère et est surtout occupé par les voyageurs. Mais il a été initialement construit pour assurer, dès sa construction au XIe siècle, la protection du port de Vernazza, notamment contre les nombreux raids des pirates. Il faut un peu de courage pour grimper en haut de la tour Belforte, un édifice qui complétait la défense de la ville, mais on est récompensé par une vue impressionnante à 360 degrés sur le village. Construite en 1318, l’église de style gothique ligure de Santa Margherita di Antiochia, patronne de la ville, surplombe la petite cité. Son clocher octogonal est couronné par une tour de près de quarante mètres.
Unique village des Cinque Terre à ne pas avoir été édifié sur la côte même mais tout en haut d’une falaise, Corniglia se mérite. Depuis la gare, il faut gravir les 384 marches qui permettent d’accéder au village qui se serre autour de la petite église blanche de San Pietro, qui domine ses paroissiens depuis le XIVe siècle. Cet escalier, la Lardarina, est une petite épreuve, surtout s’il fait chaud. Mais vous serez récompensés par la vue sur la baie des Cinque Terre. Le petit village de Manarola se niche au cœur de la crique de Volastra. Il s’étend en partie sur un aiguillon rocheux qui surplombe la mer et en partie le long de la rivière Grappa, d’ailleurs, si vous suivez son cours, vous atteindrez un petit hameau éponyme. Particulièrement photogénique, Manarola s’accroche à la roche dominant les eaux cristallines de la mer. Les couleurs pastel des bâtiments, typiques de la région, accentuent la beauté du lieu.
A Riomaggiore, les maisons longent la vallée resserrée de la rivière Maggiore, aujourd’hui couverte, la rue principale du village passant juste au-dessus. La calanque où le petit port a été installé est cernée par les collines abruptes où se serrent les maisons. Le village aurait été fondé au VIIIe siècle par des Grecs fuyant la persécution de l’empereur byzantin Léon III l’Isaurien.
Surtourisme
Le lieu est quelque peu victime de son succès et nous ne pouvons que vous conseiller, si vous le pouvez, de choisir la basse saison pour entreprendre votre voyage. Si vous êtes à la recherche de calme et de solitude, passez votre chemin. Depuis le classement des Cinque Terre (ainsi que du territoire de Porto Venere et des trois îles de son archipel, Palmaria, Tino et Tinetto) au Patrimoine mondial de l’Unesco en 1997, les touristes viennent toujours plus nombreux découvrir ces petits bijoux posés sur la mer Ligure. D’ailleurs, sur les quais, des panneaux demandent aux voyageurs d’occuper tout le quai pour des raisons de sécurité, les groupes de touristes ayant tendance à rester agglutinés devant l’entrée. Sur les sentiers qui permettent de relier les différents villages, les randonneurs sont parfois si nombreux qu’ils sont obligés de s’arrêter et d’attendre patiemment de pouvoir avancer. Les Cinque Terre comptent à peine 5 000 habitants et reçoivent la visite de 3 millions de touristes tous les ans. Un succès qui s’explique très simplement : l’endroit est magnifique ! Les joies de la mer, le bonheur du maquis, la beauté des villages colorés : le cocktail est attractif.
Carpe diem
Au niveau de l’estomac, le visiteur n’est pas en reste ! La gastronomie ligurienne a de quoi contenter tous les appétits. Dans les Cinque Terre, c’est souvent la cuisine génoise qui s’exprime. Le pesto genovese naturellement, exclusivement préparé dans un mortier avec du basilic génois AOP. La focaccia se décline ici à l’infini et la farinata, une pâte à base de farine de pois chiches, permet de prendre le maximum d’énergie avant de s’aventurer sur les sentiers de randonnées. Les anchois frits minute sont servis en cornet. Mais il existe également des trésors typiques des Terre. Le limoncello tiré des citrons de Monterosso est un must. Produit à partir de cépages endémiques Bosco, Vermentino et Albarola, le Sciacchetrà est un vin liquoreux qui a fait la réputation des Cinque Terre depuis le Moyen Age. Le poète latin Pétrarque le célèbre dans son poème épique Africa, tout comme Gabriele D’Annunzio, bien plus tard.
Nous laisserons le mot de la fin à l’écrivain génois Eugenio Montale, prix Nobel de littérature en 1975. Enfant, il passait ses vacances d’été à Monterosso al Mare, où il retournera souvent ensuite. Il a fait des Cinque Terre une source d’inspiration importante de son œuvre poétique. Il expliquait ainsi son attachement à ce lieu unique : « Debout sur les falaises spectaculaires des Cinque Terre, je n’ai ni désirs, ni besoins, ni préoccupations. Je coexiste simplement avec la terre. L’air se purifie et, en regardant vers le bas, je vois une végétation parsemée de maisons et de quelques restaurants, et je pense que c’est la vie dans ses composantes les plus élémentaires : la beauté, la nourriture et la nature. »
Pierre MICHEL
Plus d’informations sur www.parconazionale5terre.it/
Cinque Terre, quel billet acheter ?
Le billet de train, à la fois pour le Cinque Terre Express et pour le train régional qui fonctionne en basse saison, peut être acheté directement à la gare. Vous pouvez également le prendre sur l’application Trenitalia et éviter ainsi les longues queues au guichet. Un trajet coûte de 5 à 10 euros pour adultes entre chacune des gares de la ligne. Les enfants de 4 à 11 ans paient de 2,50 à 5 euros (la moitié du prix du tarif adulte simple). Le prix d’un billet varie en fonction de la période de visite. Réduction le soir : les touristes voyageant entre les villages après 19h30 paient 5 euros pour un trajet. En basse saison, le prix sont plus doux et les touristes moins nombreux. A partir du 3 novembre, un ticket régulier suffit. Si vous prévoyez de prendre plus de quatre trains dans la même journée, mais aussi de randonner sur les sentiers payants, d’utiliser le service de bus entre les villages et les sanctuaires ou simplement de vous sentir libre, la meilleure option est la Cinque Terre Card. La carte Cinque Terre Treno MS Card coûte 19,50 euros par jour, 34 euros pour 2 jours consécutifs et 46,50 euros pour 3 jours consécutifs (adulte), et donne accès aux sentiers payants et, en plus, à un nombre illimité de voyages en train régional sur la ligne Levanto – Cinque Terre – La Spezia.
